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A Bethlehem, la « belle résistance » persistante d’Al Rowwad
Rencontre, par | 30 octobre 2013
L'entrée d'Al Rowwad dans le camp de réfugiés Aida à Bethlehem et son directeur Abdelefattah Abusrur. (photos: E.R.)
Implantée depuis quinze ans dans le camp de réfugiés d’Aida à Bethlehem, Al Rowwad (les pionniers) met en oeuvre le concept de « belle résistance ». Une approche fondée sur la culture, la création, et l’absence de compromis politique. Rencontre avec son fondateur et directeur, Abdelfattah Abusrur, qui sera en France début novembre.
Pas la peine, avant de venir, de se faire expliquer l’accès au local. Il suffit de gagner le camp, de s’embarquer dans ses ruelles étroites et de demander son chemin. De la vieille dame assise sur le pas de sa porte au gamin qui galope derrière ses aînés, en passant par la petite maligne qui vend son bonbon 1 shekel, tout le monde sait où se trouve Al Rowwad. En quinze ans, ce centre culturel est devenu une véritable institution dans les territoires palestiniens occupés et au-delà. Des partenaires, souvent constitués en associations d’amis, soutiennent et relaient le projet en France, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis. Dans son bureau au premier étage du local, stores baissés, entre des murs où se côtoient un grand écran TV et un portrait de Mahmoud Darwich, Abdelfattah Abusrur est le fondateur et directeur de la Société Al Rowwad pour la Culture et le Théâtre. Docteur en génie biologique et médical, passionné de théâtre, il a lancé ce projet en 1998, au sein du camp de réfugiés d’Aida, où il est lui-même né en 1963. Pour répondre à une urgence. « Dans un camp comme Aida où il n’y a plus d’espace, où le héros est celui qui porte le fusil et où le grand rêve est de mourir pour la Palestine, il fallait inventer un lieu où rester vivant. En résistant sans aucun compromis, mais en offrant d’autres possibilités aux enfants que celles d’aller se faire sauter dans un bus. » Ainsi a pris corps ce concept de « belle résistance » (beautiful non-violent resistance) que Abdelfattah Abusrur inscrit dans l’histoire du mouvement national : « Notre peuple a toujours choisi majoritairement de résister sans armes. Même dans les structures de l’OLP, seules 15% des activités relevaient de la lutte armée. Les 85 % restant étaient dédiées à l’éducation, l’action sociale, la culture. Nous avons une vieille histoire de résistance pacifique contre l’occupant qui remonte même à la fin du XIXème. »
Pas de compromis
Un héritage que Al Rowwad veut faire fructifier. Lutter en s’éduquant et en s’appropriant les outils qui permettent de produire son récit et de briser les stéréotypes. Etre « acteur du changement ». Dans un camp où les deux tiers environ des quelques 6000 habitants ont moins de 18 ans, Al Rowwad agit comme une structure d’éducation populaire. Le centre propose des activités à partir de l’âge de 6 ans, met l’accent sur l’éducation périscolaire, la création artistique, la formation aux médias (photo, vidéo) et propose des programmes spécifiquement destinés aux femmes. Le centre, qui accueille un public venu de toute la région de Bethlehem, a accompagné l’histoire du camp ces quinze dernières années. Au début des années 2000, au plus fort de l’Intifada et de la répression israélienne, il s’est parfois transformé en hôpital de campagne ouvert jour et nuit. Cette séquence douloureuse est derrière mais elle a laissé des traces. « On veut voir nos enfants grandir. Il y en a marre de les enterrer. Mon travail, c’est de leur faire comprendre qu’ils peuvent changer le monde sans se faire exploser ». Et sans renoncer à leurs droits légitimes. Quand il parle des vingt dernières années, celles d’Oslo, Abdelfattah peine à dissimuler son mépris pour un processus qui a vu passer le territoire effectivement palestinien « de 22 % à 8 % » de la Palestine historique. « De quel compromis parle-t-on ?interroge-t-il. Je ne m’intéresse pas à ceux qui veulent nous laver le cerveau. Mon travail n’est pas de faire la paix avec Israël. On est dans un camp de réfugiés, ici. Ce n’est pas chez nous, point. Nous revendiquons notre droit au retour. C’est un droit, pas un acte de charité que nous demandons. » En rupture totale avec l’approche « humanitaire » de la cause palestinienne, Al Rowwad propose donc ses actes de « belle résistance » pour agir ici et maintenant. « Nous n’avons pas le luxe du désespoir et de l’attente. J’explique aux jeunes qu’il ne faut pas compter sur Obama, Hollande ou je ne sais qui... Il faut faire ce que nous avons à faire. Avec ou sans argent, on travaille ».
La troupe de théâtre d’Al Rowwad a tourné à l’étranger, notamment en 2011 où s’elle s’était produite à plusieurs endroits en France. Mais la « belle résistance mobile » se déplace aussi beaucoup sur le territoire palestinien. « Ce n’est pas parce que l’occupant met des barrages et veut nous empêcher de circuler que nous devons intérioriser ces contraintes et nous y plier. Al Rowwad va partout en Palestine pour créer des liens entre les gens des villages, des villes, des camps. » Entre 6000 et 8000 jeunes passent par le centre chaque année et en 2012, Al Rowwad a mené 430 activités dans plus de 100 lieux en Cisjordanie. Aujourd’hui la structure emploie 7 personnes à temps plein, 14 à temps partiel et voit passer chaque année entre 15 et 20 volontaires internationaux, bénévoles attirés par une expérience dans ce lieu singulier.
En quête de partenariats
Mais en Palestine comme ailleurs, l’argent est le nerf de la guerre et il n’est pas toujours facile d’assumer sur le long terme un projet si exigeant. Même si le centre, propriétaire depuis 2006 de l’espace qu’il occupe, ne manque pas de soutiens. Les amis d’Al Rowwad se sont créés en 2009 aux Etats-Unis. Et un partenariat bien ficelé avec des écoles norvégiennes a permis de récolter plusieurs dizaines de milliers d’euros chaque année depuis 2008. Pas grand chose à attendre en revanche du côté du Qawf, comité de fonds islamiques, qui ne s’empresse guère de répondre aux sollicitations du directeur ni de l’ Autorité palestinienne qui consacre seulement quelques miettes de son maigre budget à la culture. Et dont les préoccupations ne sont pas toujours raccords avec celles d’Al Rowwad. « Récemment, le ministère de la santé nous a sollicité pour faire une pièce sur le Sida, raconte Abdelfattah. Or, il y a aujourd’hui 77 cas déclarés de Sida en Palestine. Et plus d’un million d’enfants touchés par des problèmes dentaires. C’était sûrement à la mode de faire quelque chose sur le Sida mais ça ne correspondait pas à ce que nous avions identifié comme priorités. On a décliné la proposition et fait une pièce sur les dents, sans un sou... »
D’autres projets sont en cours, notamment la mise en place d’une ludothèque mobile (Play bus) où seraient pensés, créés et expérimentés des jeux éducatifs ayant « une identité arabo-palestinienne » ; et la création d’un théâtre proprement dit, vieux rêve du directeur d’Al Rowwad pour qui « le théâtre est l’un des moyens les plus beau et les plus sincère pour donner sa propre version de son histoire et tout dire : la violence, l’angoisse... ». Mais le prix demandé pour l’acquisition du terrain où pourrait s’implanter le théâtre (600.000 dollars) rend pour l’instant ce projet inaccessible. Ici plus qu’ailleurs, la terre est chère. Il faut donc encore trouver de l’argent, des partenaires, de l’énergie. En novembre, Abdelfattah Abusrur sera en France pour parler d’Al Rowwad, de ses enfants bien vivants éduqués à la lutte et de sa « belle résistance » non violente « contre la laideur de l’occupation et sa violence ».
Nous avons rencontré Abdel durant notre séjour. Un homme debout et résistant
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