L’évènement in l’Humanité du 31 janvier 2018
PROCHE-ORIENT
Ahed Tamimi, 17 ans
aujourd'hui, dans les geôles de Netanyahou
Ahed Tamimi a 17 ans aujourd'hui. Elle les « fête »
dans un uniforme marron de prisonnière, au fond d'une cellule israélienne.
Cette jeune Palestinienne, dont le visage est maintenant connu dans le monde
entier, a osé défier la soldatesque israélienne qui venait de défigurer, par le
tir d'une balle métallique enrobée de caoutchouc, son cousin Mohammed. Elle a
donné une claque à un militaire, des coups de pied à un autre. La scène a été
filmée. Le gouvernement d'extrême droite israélien a décidé d'en faire un
exemple. Il l'a fait arrêter en pleine nuit, le 15 décembre. Le ministre
israélien de l'Éducation (sic), un colon, souhaite qu'elle finisse sa vie en
prison. Son procès a été reporté au 6 février. Ahed n'est pas seule dans ce cas
: 350 mineurs palestiniens sont aujourd'hui emprisonnés. Ils sont traités comme
des adultes. La plupart du temps, ils subissent des interrogatoires sans la
présence de leurs parents ou d'un avocat, au mépris des conventions
internationales. Les chiffres montrent que les enfants sont maintenant
particulièrement ciblés par la répression israélienne, qui veut sans doute
écraser dans l'oeuf la révolte de la nouvelle génération de Palestiniens.
Tel-Aviv bénéficie du silence complice des capitales internationales, comme
dans le cas du Franco-Palestinien Salah Hamouri, au cinquième mois de sa
détention administrative.
Ahed Tamimi, un visage pour les 350 mineurs palestiniens détenus
PIERRE BARBANCEY
Elle a 17 ans aujourd'hui. L'adolescente palestinienne arrêtée le 15 décembre encourt sept ans de prison pour avoir défié les soldats israéliens. À travers elle, est posé le sort des enfants arrêtés par l'occupant au mépris des lois internationales.
Ses geôliers israéliens
vont-ils apporter un gâteau d'anniversaire à Ahed Tamimi ? La jeune fille « fête
» aujourd'hui ses 17 ans. À l'âge où, comme l'écrivait Rimbaud, « on n'est pas
sérieux », la voici au fond d'une cellule, éloignée de sa famille, de ses amis,
parce qu'en Palestine occupée une enfant est vite confrontée à l'horreur
militaire, à la violence des colons, au manque de liberté, à l'impossible
avenir. Alors, forcément, quand on est palestinien, on est sérieux, même à 17
ans.
Ahed est de Nabi Saleh, à une
vingtaine de kilomètres de Ramallah, en Cisjordanie. Un village qui a toujours
été en révolte contre l'occupant et qui l'a toujours payé chèrement. Depuis
2010 elle n'avait que 9 ans des manifestations pacifiques et non violentes
s'y déroulaient chaque semaine. Réponse simple de l'armée israélienne : gaz
lacrymogène, balles de métal enveloppées de caoutchouc et balles réelles. Jusqu'en
2016. À 15 ans, Ahed, dont le père, Bassem, est l'un des leaders de la
contestation (et arrêté à plusieurs reprises), voit 350 villageois blessés par
les Israéliens. L'année précédente elle s'était elle-même affrontée à la
soldatesque en empêchant, avec d'autres, qu'un militaire arrête un petit
garçon, plus jeune qu'elle. Sur une photo on la voit, avec ses tresses blondes,
en jean, vêtue d'un tee-shirt rose, se débattre pour faire lâcher prise au
soldat israélien dont la main, comme un étau, lui enserre le visage. La
résistance comme morale de vie.
En ce mois de décembre 2017, Ahed,
comme tous les Palestiniens, est révoltée par la décision de Donald Trump de
reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël. Une colère qui s'exprime sur
l'ensemble des territoires palestiniens. À Gaza, Ibrahim Abou Thouraya, 29 ans,
est tué par les tirs israéliens. Il se trouvait sur une chaise roulante parce
qu'il avait perdu ses deux jambes lors d'une attaque sur la bande de Gaza en
2008. En Cisjordanie les manifestations se multiplient.
UN COUSIN D'AHED, MINEUR, EST TOUCHÉ EN PLEIN VISAGE PAR UNE BALLE
Le 15 décembre, les jeunes lanceurs de
pierres palestiniens qui encourent plus de dix ans pour ce geste de gavroche
depuis que le Parlement israélien a voté une nouvelle loi qui concerne tous les
Palestiniens quel que soit leur âge affrontent l'une des armées les plus
puissantes et les plus équipées au monde. Mohammed, 14 ans, un cousin d'Ahed,
mineur, est touché en plein visage par une balle en caoutchouc dont la force
est telle qu'elle peut briser une mâchoire, voire tuer si elle tape le coeur. On
imagine la douleur et la colère de la jeune fille quand elle aperçoit, devant
la maison familiale, deux soldats israéliens. La voilà qui sort de chez elle
avec sa cousine pour leur dire de partir. Ils ne bougent pas. Ahed en gifle un,
donne des coups de pied à l'autre. Aucun ne bronche. La scène est filmée avec
un téléphone portable. La vidéo va vite faire le tour des réseaux sociaux et
devenir virale. L'utilisation de l'image ne saurait être seulement dans les
mains du dominant.
Tout va ensuite très vite. Une grande
partie de l'opinion publique israélienne y voit un outrage contre « l'armée la
plus morale du monde » et parle de provocation orchestrée. David n'est pas
toujours celui qu'on pense et ça fait mal ! Le gouvernement droite-extrême
droite israélien, dirigé par Benyamin Netanyahou et dont le ministre de la
Défense n'est autre qu'Avigdor Lieberman (il avait déclaré, en 2015, que tous
les Arabes israéliens qui ne sont pas fidèles à Israël devraient « être
décapités à la hache »), ne se fait pas prier. Dans la nuit du 18 au 19
décembre, un peu avant l'aube, les soldats investissent la maison. Ils
menottent Ahed et l'emmènent. Le 20, elle est présentée devant un tribunal
militaire israélien. « Elles doivent finir leurs vies en prison », éructe
Naftali Bennett, ministre israélien de l'Éducation (sic) à l'encontre d'Ahed,
de sa mère, Nariman, et de sa cousine Nour, elles aussi arrêtées.
Le 1er janvier, le procureur d'un
tribunal militaire israélien a requis douze chefs d'inculpation contre Ahed et
cinq contre sa mère. Nour a été inculpée pour agression aggravée et atteinte à
des soldats en fonction.
Ahed Tamimi est devenue un symbole de
l'acharnement israélien contre ces jeunes Palestiniens. Leurs
arrièregrands-parents ont subi la Nakba (la catastrophe) en 1948, leurs
grands-parents ont rejoint les fedayins, leurs parents ont participé à la
première Intifada, puis ont placé leurs espoirs dans les accords d'Oslo.
Durant l'année 2017, 6 742
Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza ont été détenus. Parmi eux, 1 467
enfants. Leurs grands frères ont fait la seconde Intifada. Eux sont les enfants
d'Oslo. Chômeurs, lycéens, ouvriers ou étudiants, ils ne croient plus en rien,
sauf en leur liberté. Une liberté étouffée par l'occupation israélienne,
piétinée par des colons haineux et racistes dont l'impunité est patente.
Le cas d'Ahed Tamimi et de sa famille
inquiète et dérange les autorités israéliennes, qui ne reculent devant rien
pour éteindre l'incendie et l'émotion perceptible dans le monde entier. Elles
veulent maintenant faire croire qu'il ne s'agit pas d'une vraie famille. Une
commission secrète de la Knesset, qui s'est réunie en 2015, a examiné si « les
membres de la famille ont été choisis pour leur apparence blonds, aux yeux
bleus et à la peau claire », a malencontreusement révélé un ministre israélien,
qui parle de « Pallywood » et remet en cause le port à l'envers d'une casquette
de base-ball. « Même les Européens ne portent pas de casquettes de base-ball
arrière », croit-il savoir.
LE PROCÈS D'AHED A ÉTÉ REPORTÉ AU 6 FÉVRIER
Les chiffres de la répression sont
pourtant là, terribles, fournis par plusieurs organisations palestiniennes,
dont Addameer et le Club des prisonniers. Ils montrent surtout que l'occupant
israélien a décidé de cibler les enfants comme s'il voulait tuer dans l'oeuf
toute résistance. Ainsi, en décembre 2014, ils étaient 156 mineurs emprisonnés.
Ils sont 350 aujourd'hui, soit plus du double. Or, dans le même temps, le
nombre total de prisonniers palestiniens a augmenté de moins de 1 %. Il faut
également prendre en compte les arrestations, les rafles, opérées
particulièrement à Jérusalem-Est. Ainsi, durant l'année 2017, 6 742
Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza ont été dé tenus. Parmi eux, 1 467 enfants.
En décembre 2016, 29 % des enfants détenus étaient résidents de Jérusalem-Est.
Des chiffres qui ne sauraient masquer
la violence infligée à ces mineurs. Ils sont traités comme des adultes, arrêtés
sans ménagement, souvent extirpés de leur lit en pleine nuit. 97 % d'entre eux
sont interrogés sans la présence d'un avocat ou d'un parent, au mépris de
toutes les lois et de la 4e convention de Genève et de la Convention des droits
de l'enfant. Celle-ci stipule, dans son article 37, que l'emprisonnement d'un
enfant ne doit advenir qu'en cas d'extrême nécessité. La plupart du temps, les
interrogatoires durent vingt jours, et ce n'est qu'à l'issue qu'une inculpation
est prononcée. Durant ces interrogatoires toutes les mesures de coercition sont
utilisées, comme par exemple la menace de faire venir une soeur ou une cousine,
ce qui, dans une société conservatrice, est profondément déstabilisant pour un
jeune garçon à qui l'on fait croire que sa culpabilité a été confirmée par un
tiers. Quand ils ne sont pas emprisonnés, ces enfants sont souvent placés en
résidence surveillée pendant plusieurs mois.
Le procès d'Ahed devait avoir lieu
aujourd'hui. Il a été reporté au 6 février, à la demande de son avocate, afin
d'obtenir « plus de temps pour bien étudier le dossier », ainsi que l'a précisé
le père, Bassem Tamimi. Elle est passible de sept ans de prison. Elle porte
maintenant l'uniforme marron des prisonniers. Malgré cela, ses yeux pétillent,
ses boucles blondes tombent en cascade sur ses épaules, défiant l'enfermement
et l'occupation. Ahed a 17 ans aujourd'hui.
6
300 C'est le nombre de Palestiniens emprisonnés par Israël, dont 350 enfants,
58 femmes (dont 9 mineures), 450 détenus administratifs, 10 députés et 22
journalistes.
UN
ADO DE 16 ANS TUÉ À RAMALLAH Le ministère palestinien de la Santé a informé
hier qu'un adolescent de 16 ans a été tué par des tirs de soldats israéliens au
nord de Ramallah, en Cisjordanie occupée.
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